LA GIFLE. On pourrait intituler ainsi la soirée des Oscars qui s’est tenue le 27/03/22.
Malheureusement, beaucoup n’auront retenu que le geste. Personnellement, j’en fais une toute autre analyse, qui pousse à la réflexion sur ces petites « blagounettes » au travail qui font souvent rire aux dépens de certaines personnes, souvent les mêmes.
Table des matières
Harcèlement moral ou blague de mauvais goût ?
L’humoriste Chris Rock, sur le podium, interpelle directement Mme Smith « prépare-toi pour Armes égales 2 », lui lance-t-il. L’assemblée éclate d’un rire amusé. Will Smith rigole lui aussi à cette blague en apparence sans méchanceté. Mais l’intéressée fait une moue agacée. Son regard est dur et triste à la fois.
Sur le plan suivant, Will Smith, du pas indolent qu’on lui connaît, monte sur la scène. Il se dirige vers l’auteur de la blague qui l’attend, confiant. Rien dans l’attitude de Will Smith ne laisse présager de la suite. Peut-être va-t-il prendre le micro de Chris Rock et réparer la « blague » en adressant une déclaration à sa femme ?
Peut-être s’excusera-t-il, lui aussi, d’avoir ri spontanément à cette blague, qui pour Mme Smith était surtout le rappel d’une maladie auto-immune dont elle a certainement longtemps souffert des conséquences?
Aujourd’hui, crâne rasé, elle s’assume et s’affiche. Mais par combien de tribulations est-elle passée avant d’en arriver là ? Quelles cicatrices continuent de suinter derrière ce port altier, cette magnifique boule à zéro ? Au bout de combien de temps cette femme s’est-elle sentie belle malgré sa différence ? Au bout de combien ce non choix est-il devenu une seconde peau ?
Chris Rock, en a ri, et en a fait rire. Lui, tout ce qu’il a vu, c’était le crâne rasé, aujourd’hui. Dans armes égales, pour les besoins du film, Demi Moore s’est rasée le crâne. Chris Rock imagine donc naturellement Mme Smith dans le même rôle. Ok. sauf que depuis, les cheveux de Demi Moore ont repoussé. Elle incarnait un rôle, un personnage. Elle avait fait le choix de se raser le crâne (ou se l’était fait imposer). Mme Smith, elle, ne joue pas un rôle. Elle s’accommode d’un mal.
La gifle : quand le silence et l’indifférence ne suffisent plus.
Will Smith s’approche de l’humoriste. Peut-être va-t-il le prendre dans ses bras, et lui lancer un » Frère (Bro, à l’américaine) tu sais, ma femme n’a pas fait le choix d’avoir la tête rasée, et je l’admire pour le chemin parcouru », ou peut-être va-t-il le prendre dans ses bras et lui dire » je te remercie de m’avoir tendu la perche : on ne parle pas assez de l’alopécie en général, et des conséquences sur les filles et les femmes en particulier »…
Personnellement, j’imagine fort bien que tous ces messages se sont bousculés dans la tête de l’acteur alors qu’il approchait de l’humoriste souriant. J’imagine également que, se rapprochant, le sourire narquois de cet homme lui a rappelé tous les rires moqueurs dont sa femme lui a certainement fait les confidences au cours de ces 20 dernières années. Toutes les remarques humiliantes qu’on n’a pu lui faire, toutes les idées auto-dégradantes qu’elle a pu nourrir. J’imagine que s’approchant de Chris Rock, il a pensé (même furtivement), aux millions d’américains devant leurs écrans, aux millions de téléspectateurs devant leurs écrans … À tous ces rires qui ont jailli spontanément dans des millions de foyers, dirigés contre une personne, son épouse. Mais aussi contre toutes les petites filles, jeunes filles et autres femmes aujourd’hui chauves pour cause de maladie auto-immune, pour cause de chimiothérapie, suite à un accident, etc.
Will Smith lui a asséné une GIFLE. Une gifle à la bêtise, en général. Une gifle à tous ceux qui ont ri. Une gifle contre lui-même, car rire, aura été sa réaction première.
Ce que je trouve dommage dans cette histoire ? L’opinion publique a retenu la gifle, et pas les causes de celle-ci. L’auteur, Will Smith, a pleuré d’avoir giflé, sans revenir non plus sur les raisons de celle-ci. Il a présenté ses excuses. Et Chris Rock ? Lui, se drape dans une espèce de dignité offensée et réfléchit à porter plainte : c’est lui la victime visible, après tout. C’est-y pas cocasse ?
Quelle morale faut-il tirer de cette histoire ?
Que peut faire l’élu.e CSE face à une situation de harcèlement au travail ?
En tant qu’élu.e CSE, bien évidemment vous aurez peu souvent l’occasion d’asséner des gifles magistrales aux collègues auteurs de harcèlement. Parce que :
- La violence (physique) en réponse à la violence (verbale, psychologique) n’est jamais la réponse adéquate
- bien souvent, vous aurez eu du mal à identifier et évaluer la situation de harcèlement
- c’est à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la santé et la sécurité des salariés sur le lieu de travail.
Élu.e CSE en exercice, votre principal recours en cas de constat d’une situation de harcèlement, sera d’exercer votre droit d’alerte : prévenir l’employeur. Une fois l’alerte donnée, vous êtes en droit de vous enquérir des mesures qui auront été prises par l’employeur.
Le harcèlement au travail : ce que dit la loi

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » Article 1152-1 du Code du travail.
Le harcèlement est par ailleurs puni par le code pénal : jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende, est-il précisé en son article 222-33-2.
Dans ce même article, le code pénal précise que la situation de harcèlement est effective même :
a) « Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;
b) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.
et passibles de » deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende :
1° Lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours …
3° Lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4° Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique «
Le rôle des élus CSE dans les situations de harcèlement au travail
Le code du travail prévoit que le CSE désigne en son sein, un référent contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Cela s’inscrit très clairement dans la lutte contre les inégalités hommes-femmes au travail. Pour autant, rien n’interdit aux élus du comité social et économique de s’intéresser à toutes les autres formes de harcèlement au sein de l’entreprise.
Dans l’absolu, le CSE ayant des attributions en matière de santé, sécurité et conditions de travail des employés, les élus sont parfaitement habilités à s’exprimer sur des questions de harcèlement moral sur le lieu de travail. Ils peuvent inviter l’entreprise à mener des actions de prévention et militer en faveur de la mise en place d’un process pour le signalement et la résolution des problèmes de cet ordre.
En cas de harcèlement moral, les salariés peuvent alerter les élus du CSE, ce qui engage ce dernier à faire jouer son droit d’alerte pour prévenir l’employeur afin que celui-ci diligente une enquête.
Le droit d’alerte
Auprès de l’employeur.
Qu’il soit prévenu par la victime de harcèlement, par un témoin ou qu’il en soit lui-même témoin, l’élu CSE doit exercer son droit d’alerte : prévenir l’employeur.
Ce dernier décide alors de mener une enquête sur les faits qui lui sont remontés. Il peut y associer les élus du comité social et économique.
Auprès de l’inspection du travail.
L’employeur ne réagit pas ou peu, ou trop lentement ? L’élu CSE peut saisir l’inspection du travail et signaler la situation de danger à la personne qu’il a identifiée au sein de l’entreprise.
Mener une enquête CSE
Qu’il s’agisse d’une enquête conjointement menée avec l’employeur ou d’une initiative terrain du CSE, les élus peuvent fort bien procéder à une enquête au titre de leur mission SSCT (santé, sécurité et conditions de travail). Ils pourront ensuite transmettre leurs observations et conclusions à l’employeur.
Apprécier la situation
À situation égale, nous ne réagirons pas tous de la même façon. Pour en revenir à la gifle des oscars, si Demi Moore, crâne rasé ou même Sinead O’Connor avait assisté à la même cérémonie et que le même humoriste lui avait la même blague, peut-être en aurait-on simplement ri. Aussi peu drôle que cela puisse être…Tout simplement parce que malgré leur point commun, le crâne rasé, ces femmes n’auraient pas eu la même histoire (ni ce mari-là ). En entreprise, à situation égale, 2 salariés ne réagiront pas de la même façon non plus. Parfois même, la même « blague » dite par deux collègues n’aura pas le même effet. C’est toute cette subtilité qui fait la difficulté des situations de harcèlement.
Faire un rapport et suivre les mesures correctives apportées
Le rapport fait à l’employeur permettra, le cas échéant, de faire des suggestions de mesures préventives : comment éviter que de telles situations se reproduisent ? Quelles formations prévoir pour accompagner les protagonistes : qu’il s’agisse de la victime, ou même de l’auteur des faits ?
Les élus CSE peuvent / doivent être force de proposition.
Pour les salariés : les recours en cas de situation de harcèlement moral au travail
Vous êtes salarié.e et vous vivez une situation de harcèlement ? Dans beaucoup de cas, vous aurez parfois du mal à mettre un mot sur votre vécu. Disons-le donc autrement : vous êtes en situation de souffrance face à des agissements d’un ou plusieurs collègues ? Vous en perdez le sommeil ? Avez la boule au ventre tous les matins à l’idée de le/la/les croiser ? Avez le cœur qui bat la chamade quand vous les voyez de loin dans les couloirs de l’entreprise ?
Si vous êtes en situation de souffrance, il n’est pas exclu que vous soyez victime d’une situation de harcèlement.
Dans tous les cas, voici les recours qui s’offrent à vous, sans ordre de hiérarchie :
– prévenir un élu membre du comité social et économique
– prévenir votre employeur, par le biais du Responsable ou du Directeur des Ressources Humaines, ou par le biais de votre Manager (s’il n’est pas le harceleur)
– vous pouvez alerter directement l’inspection du travail : les coordonnées de l’inspecteur en charge de votre entreprise sont affichées dans l’entreprise
– saisir le Conseil des Prud’hommes, dont le rôle est de régler les conflits salariés – employeurs mais aussi, entre salariés
– saisir le défenseur des droits par téléphone, par internet, ou en prenant RDV avec le délégué de votre département lire
– porter plainte directement pour une action pénale.
Dans tous les cas, le silence n’est jamais une option : en parler est un début de solution.
