« Nous nous sommes inspirés des gilets jaunes : la grève a été décidée dans un groupe privé sur Facebook ».
Voici ce qu’il faut retenir du mouvement de grève de la SNCF qui a paralysé la France le premier weekend de décembre. Pour la fin de l’année, la donne s’annonce pareille : les négociations sont suspendue à la décision du collectif des contrôleurs SNCF actif sur Facebook.
Un mouvement social sur le modèle des gilets jaunes, c’est tout, sauf anecdotique. La lecture que j’en fais ? Le sentiment qui s’installe conforte une forme de défiance vis-à-vis des instances représentatives du personnel (IRP) traditionnelles (syndicat, CSE). Par cette contestation prise en main en-dehors du circuit traditionnel, les salariés expriment qu’ils pensent n’avoir plus d’autre choix que de faire à leur manière. Ceci maque une condamnation sans appel des IRP pour :
- leur manque d’efficacité et leur impuissance face à un employer parfois lui-même réticent au dialogue et/ou condescendant
- la rupture avec les salariés qui ne se sentent plus représentés, ont le sentiment de ne plus être entendus ni par l’employeur, ni par leurs élus.
La fusion des IRP aura accentué le malaise. Là où la multiplicité des acteurs permettait d’assurer une vraie proximité avec les salariés et la convergence d’actions efficaces auprès des employeurs, la fusion a eu pour effet de tout centraliser. Un seul interlocuteur pour tout : délégués du personnel, commission santé et sécurité, comité d’entreprise… 3 en 1, avec en prime une baisse relative du nombre de représentants alors que la charge de la mission n’en finit plus de s’alourdir.
Fusion des instances représentatives : la fin de la proximité.
Était-il vraiment question de gagner en efficacité ? Ou l’objectif inavoué était-il d’alourdir les missions des élus et donc d’affaiblir l’instance ? Dans les faits, le principal avantage de la fusion des IRP aurait été de faire gagner du temps à l’employeur : une seule réunion avec une seule instance, un seul canal de diffusion. Dans un contexte optimal, ce mode de fonctionnement aurait permis une meilleure circulation et un meilleur traitement de l’information, mai aussi un suivi plus optimal des plans d’action.
Malheureusement, charger la mule aura eu pour effet pervers de l’aider à s’effondrer.
La baisse du nombre de représentants, la dilution du pouvoir accordé aux suppléants (dont la participation aux réunions ne s’impose plus à l’employeur), et en parallèle, l’alourdissement de la mission des élus qui se sont vus opposer des attributions supplémentaires, ont contribué à l’essoufflement de l’instance.
À l’ensemble de ce qui précède, rajoutons que la communication a toujours été LE maillon faible de beaucoup d’instances, et le cocktail est complet pour garantir la démotivation des élus représentants du personnel, et leur difficulté à rester connecter à leur « base électorale », les salariés.

L’effet COVID : le dialogue social en standby
Et le COVID, on en parle ? Dans de nombreuses entreprises, s’il s’est passé des choses pendant la crise sanitaire, les salariés n’en ont pas ou peu entendu parler. Comme tous, les élus CSE étaient absents, figés dans une espèce de stupeur générale. Alors que les salariés, fébriles, questionnaient, tout aussi fébriles, les élus s’interrogeaient. Sans forcément, pour autant, informer les salariés de leur propre état d’esprit.
Réseaux sociaux : quand dans l’ombre se nourrit la grogne.
Peut-on, dans ce contexte, feindre la surprise de voir la méthode « gilets jaunes » s’imposer comme modèle dans les entreprises où le Dialogue Social n’a parfois plus qu’un concept vaseux et vide de sens ?
Avec les réseaux sociaux on se parle, on échange, ça réchauffe et ça échauffe. Dans un anonymat relatif, les choses se mettent en place, et le virtuel se concrétise par des actions bel et bien réelles : pendant près d’une année, nous avons vu et vécu les manifestations des gilets jaunes. L’histoire nationale en est désormais marquée.
4 ans plus tard, c’est en entreprise que le phénomène s’installe.
Plus de visibilité, plus de considération … le cri des salariés désormais sur les réseaux s’expriment, et n’hésitent plus à se matérialiser par des actes concrets au quotidien. Une grève par exemple.
Est-ce le début de la fin ? Ou le début du renouveau ?
Un dialogue de qualité nécessite un équilibre des forces en présence.
Des employés organisés font peur au patronat, lit-on dans les fichiers sur l’histoire des débuts du dialogue social.
C’est probablement sans commune mesure avec ce qui se prépare : des employés organisés, anonymisés. La débandade tous azimuts : des IRP traditionnelles totalement dépassées et désormais perçues comme obsolètes, des employeurs jusqu’ici un rien condescendants, et qui désormais, ne savent plus qui convoquer à la table des négociations… Vivons-nous un tournant historique ? Le début de la fin d’un ordre établi et l’émergence d’un nouvel ordre ?
Quel avenir pour ce mode de fonctionnement quand on sait les dangers du net avec, notamment la suractivité déstabilisatrice de trolls venus d’ailleurs ?
Est-ce une fatalité, où est-il encore temps de repenser un vrai Dialogue social ?
Il n’existe aucune autre réponse à cette question que la nécessité impérieuse de remettre l’humain au centre des organisations. De militer pour un Dialogue Social vrai et constructif, empreint d’un indispensable respect mutuel.
Il est encore temps. On peut l’espérer.
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