Taxer les comités d’entreprise et CSE. Voilà une décision lourde de conséquences, qui va hélas dans le sens d’un avertissement que je donnais à certains de mes partenaires CE / CSE il y a plusieurs mois.
Même si mon avertissement portait alors sur le fait que les excédents de certains comptes CE (désormais CSE) finiraient par avoir un corollaire direct : leur fiscalisation.
L’amendement Christophe est une vraie catastrophe et mérite qu’on s’en émeuve.
Le texte de l’amendement Christophe
Sur sa page Facebook, M Paul Christophe se félicite en ces termes : « Adoption de mon amendement sur le PLFSS relatif aux chèques cadeaux ! Nous sécurisons cette pratique pour que les chefs d’entreprise puissent en distribuer à leurs salariés, sans risquer un redressement URSSAF. »
À lire ces lignes, les chefs d’entreprise auraient pu être tentés d’applaudir, si tous n’avaient pas déjà depuis longtemps, une fine connaissance des plafonds appliqués à la distribution des chèques cadeaux par salarié, par an et/ou par événement. Le risque de redressement par l’URSSAF n’aurait donc été qu’une méconnaissance ou une mauvaise interprétation des textes : limite de 5% du plafond de la sécurité sociale (3 311 € en 2018), soit 166 € en 2018.
L’amendement de M Christophe n’apporte d’ailleurs aucune nouveauté, puisqu’il reprend ce taux !
Non, par contre, la nouveauté porte sur toutes les autres prestations des comités d’entreprise :
- la pratique d’activités sportives
- l’accès aux biens et aux prestations culturels
- l’aide aux vacances scolaires
Ces prestations n’étaient, jusqu’à présent, guère impactées par quelque plafond que ce soit.
Or désormais, un plafond est défini pour ces dépenses : 10% du plafond de la sécurité sociale, soit 331 €.
L’entrée en vigueur de cet amendement serait prévue pour le 01/01/2019.
Les aides des comités d’entreprise / CSE aux salariés
Les comités d’entreprise, bientôt tous comités sociaux et économiques, jouent un rôle prépondérant dans le tourisme national. Certains parcs d’attractions tels que le Parc Astérix par exemple, affirment que les CE / CSE représentent pas moins de 50% de leur fréquentation annuelle. 1 Mio de visiteurs par an seraient donc générés par les CE dans ce parc.
L’action des comités d’entreprise est extrêmement importante pour l’accès des salariés à tous types de loisirs (cinéma, spectacles, parcs d’attractions…), l’incitation de tous à la pratique sportive des salariés mais également parfois, leurs enfants, et conjoints, et très largement, par leurs aides et prestations, les comités d’entreprise / CSE contribuent aux départs en vacances des salariés et de leurs familles,
L’aide des comités d’entreprise / comités sociaux et économiques aux salariés se traduit de diverses manières.
Des aides pour le sport
- le remboursement de tout ou partir d’un abonnement à une salle de sport, pour les salariés, leurs conjoints, leurs enfants
- la mise en place d’activités sportives directement dans les locaux de l’entreprise
- la prise en charge totale ou partielle des prestations
Des aides pour les prestations sociales et culturelles
- la subvention de tickets de cinéma
- la subvention de billetterie pour les spectacles, parcs d’attractions et autres loisirs
Des aides pour les vacances
- La participation aux vacances
Le salarié obtient une aide de son CSE pour ses vacances ou celles de sa famille. Les élus définissent les critères et modalités d’attribution : un remboursement sur justificatifs, ou une prise en charge directe par le comité d’entreprise auprès d’un établissement partenaire (un camping, une résidence…)
Il peut s’agir de vacances en famille, de colonies de vacances pour les enfants, de l’accueil des enfants en centres de loisirs. Chaque comité social et économique définit sa politique, le type d’aide octroyée et les montants afférents. À ce jour, il n’y a pas de plafond pour le montant de la participation des comités d’entreprise aux vacances. Le budget et les projets de chaque CSE contribuent à créer la limite.
- Les chèques vacances
Les chèques vacances sont des titres émis par l’agence nationale des chèques vacances. Ils sont acceptés par un grand nombre d’agents du tourisme en règlement de leurs prestations : la restauration, le cinéma, les musées, les parcs d’attractions, les hébergements de vacances, les agences de voyages, la SNCF, l’avion, le télépéage …
Les chèques-vacances sont l’aide au départ par excellence.
Émis par l’agence nationale pour les chèques-vacances (ANCV), un établissement public, ils sont généralement distribués aux salariés moyennant une contribution de ces derniers à la valeur totale des chéquiers (20 à 50% ).
Pour les chèques-vacances, il existe déjà un plafond de prise en charge maximal par les comités d’entreprise (et CSE) : 440 € / an et par salarié. L’amendement 252 abaisserait donc de 25% le plafond existant.
- L’organisation de séjours
Dans le cadre de leur mission, les élus de comités d’entreprise ou comités sociaux et économiques, ont vocation à organiser des séjours pour les salariés et leurs familles.
« Nous sommes partis 10 jours en Thaïlande. Jamais je n’aurais envisagé ce séjour s’il n’y avait pas eu cette opportunité offerte par le comité d’entreprise »
« Lorsque j’ai vu l’offre pour le Japon, j’ai dit à mon mari que c’était le moment où jamais! »
À lire ces réactions des salariés, on imagine sans mal l’aubaine que représentent les séjours organisés par les comités d’entreprise / comités sociaux et économiques . L’intérêt réside aussi bien sur la qualité des prestations proposées que sur la contribution financière du CSE. Ici également, le budget est la principale contrainte à respecter, mais certains CSE prennent parfois en charge jusqu’à 70% ~ 85 % des séjours, favorisant ainsi le départ de centaines de milliers de salariés et leurs familles.
Pour un weekend au ski par exemple, il n’en coûtera que 70 € / personne aux salariés parce que le CE / CSE aura contribué à hauteur de 200 € / personne (74%). 1000 € pour une semaine en pension complète en Argentine ? C’est parce que le comité comité social et économique aura abondé à hauteur de 1200 € (55%).
Dans la plupart des comités sociaux et économiques, l’objectif est de faciliter les départs des catégories les moins favorisées.
À lire les exemples ci-dessus, on imagine déjà l’impact de l’amendement Christophe sur les comités d’entreprise et comités sociaux et économiques. Ces derniers se retrouveraient obligés de réduire la voilure : moins de prestations sociales donc. Mais les premières victimes sont moins les comités d’entreprise et CSE que les premiers bénéficiaires de ces mesures : les salariés en avant-première, les entreprises ensuite, et très largement, le secteur du tourisme.
De nombreuses questions en suspens
L’amendement Christophe ne supprime pas les aides aux vacances. Il détermine le plafond au-delà duquel l’exonération des taxes et cotisations sociales ne sera plus acquise, et à partir duquel les salariés bénéficiaires seront assujettis à l’impôt sur le revenu.
Ce montant a été arrêté à 331 €.
Pour comprendre l’impact de la mesure, il faudrait en comprendre le champ d’application : le législateur le précise, il s’agit des « avantages relevant des activités sociales et culturelles établies en entreprise », soit :
- les participations financières directes du comité d’entreprise aux vacances et loisirs des salariés
- les remboursements du comité d’entreprise aux salariés : vacances, sorties scolaires, sport, loisirs
- l’octroi de chèques-vacances
- l’organisation de séjours pour les salariés (courts, moyens et longs séjours compris)
… Pour un montant global de 331 €. Par activité? Toutes activités cumulées? Selon le texte adopté en première lecture par l’assemblée nationale, au-delà de 331 €, les comités d’entreprise seraient donc soumis aux taxes et cotisations sociales, et les salariés redevable de l’impôt sur le revenu pour les aides perçues de leurs CE / CSE.
Quelle sera l’assiette fiscale pour le calcul des taxes dues ?
- les sommes au-delà du plafond pour chacune de ces aides ?
- les sommes au-delà du plafond pour le montant cumulé de ces aides ?
Les conséquences directes de l’amendement
La remise en question des engagements pris par les comités d’entreprise et comités sociaux et économiques pour l’année 2019
Beaucoup de comités d’entreprise / CSE rigoureux et organisés ont déjà arrêté leur budget prévisionnel pour 2019. Les projets sont validés, les acomptes déjà versés… L’adoption définitive du texte et son entrée en vigueur de l’amendement au 01er janvier 2019 ne laisseraient aucune marge de manœuvre aux élus.
- Une surcharge de travail pour les services paie et un droit de regard sur les activités du CE/CSE
Très concrètement, à partir de 331 € d’aides ou prestations à un salarié, les élus seront donc tenus d’envoyer leurs fichiers de bénéficiaires à la Direction / DRH afin que cette dernière effectue les différentes démarches sociales. Par cette seule décision, le législateur crée un nouveau type de lien entre les élus et la direction, accordant de fait un droit de regard de la Direction au montant exact des aides perçues par chaque salarié. Comment ne pas craindre que ces informations soient prises en considération à d’autres fins?
- La baisse du budget social
Les taxes et cotisations seront clairement amputées du budget des activités sociales et culturelles des comités d’entreprise / CSE.
- La baisse du plafond pour les chèques-vacances
Si cette mesure concerne également les chèques-vacances, ce qui semble être le cas, le plafond de ces derniers serait-il donc amené à baisser de 110 €, soit une baisse de 25% au 01/01/2019 ?
- La hausse des impôts sur le revenu pour les salariés
Avec l’amendement Christophe, on comprend que pour le législateur, les aides aux vacances et prestations accordées aux salariés relèvent moins d’une démarche sociale et solidaire que d’une forme de rémunération. Les montants au-delà de 331 € seront donc intégrés dans le montant de revenu imposable.
- In fine… la baisse des prestations des comités d’entreprise et le manque à gagner de leurs prestataires
Corollaire direct de cet amendement, on peut prévoir que ni les élus, ni les entreprises, ni même les salariés n’auront spécialement envie de se compliquer le quotidien : les seuils d’exonération détermineront la limite des prestations.
C’est cette réalité qui émeut, à raison, les opérateurs de tourisme. Souvenez-vous : 50% des visiteurs du parc Astérix sont issus des comités d’entreprise (séjours organisés, billetterie subventionnée…) et une part importante du budget des CE / CSE est alloué aux vacances : séjours organisés, chèques-vacances et participations… L’impact sur l’ensemble des autres prestations, sportives et culturelles, sera tout aussi significatif.
Vogue la galère
Les vives réactions des acteurs du secteur du tourisme reflètent l’impact important que pourrait avoir cette mesure dans le secteur du tourisme. Des baisses de chiffres d’affaires qui pourraient conduire de nombreux opérateurs à prendre des mesures drastiques (et dramatiques) pour rester à flots.
Au niveau social également, le désastre s’annonce important. Pour illustrer la contradiction de la mesure, prenons les chèques-vacances. Émis par un organisme public, ils génèrent des revenus importants (1,56 milliards en 2016) et permettent, entre autres, des actions solidaires en faveur de personnes en situation précaire :
- une aide aux jeunes, avec le programme départ 18-25
- une aide aux seniors, avec le programme seniors en vacances notamment
- le développement d’infrastructures de tourisme solidaire
En 2016, 251 200 personnes ont pu partir dans le cadre de programmes d’action sociale de l’ANCV.
Faudra-t-il donc distribuer moins de chèques vacances et réduire d’autant les actions de l’état en faveur de personnes fragiles ?
Je n’imagine pas que les opérateurs de tourisme soient les seuls à crier leur colère. À ce jour, plus de 7500 personnes ont déjà signé la pétition en ligne qui réclame le retrait de l’amendement n°252. Cette mesure impacte :
- l’ensemble des entreprises qui misent de plus en plus sur leur marque employeur et la dynamique de leurs comités d’entreprise pour faire la différence et qui voient leurs services paie chargés d’une mission supplémentaire (en plus des réorganisations dues aux prélèvements à la source)
- l’ensemble des élus de comités d’entreprise et comités sociaux qui se retrouvent tenus de rendre des comptes et de soumettre au regard de la direction, les aides octroyées aux salariés
- l’ensemble des salariés et leurs familles : principaux bénéficiaires des aides et avantages qui seront tout bonnement supprimés
Et dans une très large mesure, l’ensemble des prestataires dédiés aux comités d’entreprise pour toutes leurs activités et animations : loisirs, sport, détente, … car comme me le faisait remarquer un partenaire :
si on ne peut plus vous faire travailler, qu’allons-nous faire des subventions qui nous sont allouées?
Et oui en effet, que faudra-t-il faire de tout cet argent ? … Payer les taxes.
Car, rappelons-le : l’amendement Christophe ne supprime pas les prestations des comités d’entreprise et comités sociaux et économiques. Il détermine la limite du seuil de tolérance qui prévalait jusque là et l’aboutissement d’un rêve longtemps caressé par de nombreux politiques : taxer les comités d’entreprise / comités sociaux et économiques.
Et maintenant, que va-t-il se passer ?
L’amendement a été adopté et est supposé entrer en vigueur au 01/01/2019. Selon la procédure, il est prévu que le texte soit soumis pour adoption en 2ème lecture. Face à la grogne générale, M Christophe, député du Nord, s’est dit prêt à proposer un nouvel amendement dans le cas où l’analyse du texte en 2ème lecture ne menait pas à des dispositions plus favorables pour les salariés.
Malgré ces promesses, il faut retenir qu’en cas de promulgation, les prestations et activités sociales et culturelles des comités d’entreprise seront désormais soumises aux cotisations et taxes sociales au-delà d’un plafond de 331 €.
Le montant exact du plafond sera indexé, tous les ans, sur celui de la sécurité sociale.
J’entends dans cet amendement comme un air de moins bien et une ère de galère et de régression sociale.
« Parce que les vacances, c’est essentiel », scande l’ANCV et les loisirs aussi.
Mais pas pour tout le monde, apparemment.
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